Biographie

L’art exige non seulement l’observation de la vie, mais aussi une participation active, disait Ilya Ehrenbourg. Voilà qui définit bien Louis Fortier. L’aventure créatrice de cet homme est engagée et empreinte de liberté. C’est ce qui rend son œuvre incontournable et lui confère une portée sociale certaine. Au cours des ans, elle a pris plusieurs formes, emprunté différents véhicules. À la fois peintre, sculpteur et « jardinier », Fortier cultive la tolérance et encourage la différence.

L’originalité de son œuvre dépend moins de sa manière que de sa façon de penser. Enfant, il n’accepta pas d’être enfermé dans une école. Faire la même chose aujourd’hui avec son art n’aurait guère plus de sens. Aussi, aurait-il pu s’en tenir à une période « monnayable » mais pour Fortier, l’uniformité c’est la mort.

L’œuvre de Fortier s’échelonne sur près de vingt cinq ans et se découpe en petites périodes, chacune composée d’une vingtaine de tableaux significatifs. Autodidacte, passant du figuratif au non-figuratif, Fortier est un « illumineur ». En tout temps et circonstances, il laissera la lumière s’imposer sur la forme ou le sujet.

Au cours des ans, cette nécessité de trouver de la lumière combinée à des conditions économiques difficiles l’amènera à expérimenter avec diverses matières, à développer des techniques plus étonnantes les unes que les autres, et qui témoignent d’une nécessité de créer. C’est que Émile Zola appellera « la lutte de l’artiste avec la nature (…) la bataille perpétuelle avec la vérité ».

Louis Fortier est né le 19 juin 1946 dans un quartier ouvrier de la basse-ville de Québec, Saint-Sauveur. Il y passera les cinq premières années de sa vie entouré de sa mère, de son père et de sa grand-mère maternelle. Très tôt, Louis perdra contact avec son père Paul-Émile, atteint de tuberculose. Celui-ci, placé à l’orphelinat dès l’âge de quatre ans vivra la liberté le temps de fonder une famille. Puis, ce sera le sanatorium jusqu’à l’âge de 42 ans.

Fortier sera profondément marqué par cette absence. Ni l’autorité de sa mère, pas plus que la bienveillance de sa grand-mère ne sauront combler ce vide. Dans les années qui suivront, il n’acceptera pas d’être enfermé dans une classe. Les écoles de réforme ne seront pas non plus une solution. Il s’en échappera aussi…

Ce n’est qu’en 1976 que Fortier retournera dans la cour de sa petite enfance, se saisira des éléments qui l’ont façonnée et refera une partie de son histoire. À travers sa période des « maisons de Saint-Sauveur », il réussira à remonter et à démonter le temps pour y jeter un autre coup d’œil. Ses « cabanes » comme il les appelle, ne seront qu’un prétexte pour en finir avec cette époque. On assistera alors à une explosion de couleurs. C’est dans la création de ces tableaux qu’il retrouvera la liberté, pour lui, mais surtout pour son père.

Les tueursSaint-Sauveur « Guenilles Beaulieu », 1979, acrylique sur feuille de plastique, 91 cm x 122 cm

Entre les écoles de réforme et sa première exposition à la Galerie Joseph Légaré en 1977, Fortier apprendra. Il apprendra d’abord le métier d’électricien. Par amour et sans doute aussi avec l’espoir de voir un jour son « petit Louis » se trouver une voie, sa grand-mère maternelle forcera le destin. Elle mandatera un membre de la famille, entrepreneur électricien, à lui enseigner les rudiments du métier. Il apprendra vite et bien. Ce sera son premier contact avec la lumière.

C’est en 1971 que Fortier s’intéressera à la peinture. Il donnera ses premiers coups de pinceau sous les conseils de Maurice Lebon. Très rapidement, celui-ci reconnaîtra en son élève un talent hors du commun. L’apprentissage se poursuivra avec Arthur Genest et chaque fin de semaine qu’ils pourront, ils partiront ensemble peindre des paysages de Saint-Adolphe, du Cap-Tourmente et du Saguenay. Comme un ciel d’automne, la relation entre le professeur et l’élève est souvent orageuse. Malgré tout, pour Fortier la peinture deviendra sa raison d’être. Il ne lui restera qu’a dompter son caractère, à apprendre à être patient. En 1971 et 1976, il peindra plus de 2 500 tableaux. Obsédé par la lumière, il les brûlera presque tous… C’était une démarche essentiellement personnelle, dira-t-il plus tard.

Outre Georges Marcil, à qui il voue le plus grand respect – il lui a enseigné l’intégrité et le respect dit-il – quand on lui demande qui a le plus influencé sa peinture, invariablement il répond : Denise Thomassin. C’est en avril 1972 à la salle l’Italia sur la rue De la Couronne à Québec qu’il rencontre celle qui allait devenir un an plus tard, sa compagne de vie. Native de Sainte-Brigitte-de-Laval, fille de campagne, Denise lui enseignera la patience. Elle deviendra à la fois sa muse et sa plus redoutable critique. Elle lui donnera aussi la liberté nécessaire pour s’exprimer.

Mil-neuf-cent-quatre-vingt-quatre marquera un tournant décisif dans sa vie. Alors que Fortier travaille à une installation électrique, il chute d’une toiture et se brise les deux jambes. Les blessures sont sévères et il passera les deux années suivantes couché. Il ne retrouvera que partiellement l’usage de ses jambes. Bien que sa carrière d’électricien soit terminée, Fortier ne s’en formalisera guère. « De toute façon, ce n’était pas ce que je voulais faire. On ne demande pas à un pommier de donner des cerises » me dira-t-il plus tard. Cette convalescence prolongée finira par avoir raison de ses impatiences et lui inculquera une vision nouvelle de la vie et un respect plus grand de la mort. Sa peinture se transformera aussi.

« Il y a ceux dont la peinture tend vers la sculpture, comme Picasso, et ceux qui se rapprochent de la musique comme Matisse. Moi, c’est la musique » dira Fortier. Pendant sa convalescence, il poussera plus loin ses expériences avec la couleur. Il transformera les paysages qu’il a emmagasinés au cours des années précédentes et, de peintre figuratif il tendra vers ce qu’il appelle la figuration « spirituelle ».

Vers 1987, Louis Fortier laissera les pinceaux pour la « bombe aérosol ». Les couleurs primaires prédomineront et il en tissera des paysages imaginaires les plus étonnants. La musique y sera certainement pour quelque chose. Ces tableaux seront présentés au public en 1988 à la galerie Anima G.

Requiem pour les vivants« Requiem pour les vivants », 1988, vaporisé sur masonite, 183 cm x 122 cm

À Peu près à la même époque, Fortier et Irénée Lemieux, un de ses ancien professeur, s’adonnent à un exercice de création. Ils photocopient une image ou un croquis à quelques cent exemplaires, qu’ils transforment ensuite à l’aide de couleurs. Ces variations sur un même thème forceront les frontières de leur imagination et donneront naissance à la période des « transformables ». Chef d’orchestre émérite, c’est Lemieux qui éduquera véritablement Fortier à la musique classique. Son œuvre ne s’en portera que mieux.

Entre 1990 et 1994, Fortier entre dans sa période la plus éclatée. C’est aussi l’époque du groupe de « La Canardière ». À moins de trois minutes à pied du centre hospitalier Robert Giffard, « l’asile » comme on l’appelait, est situé dans un centre commercial. Le directeur, avec l’accord des propriétaires, décide de prêter gracieusement les locaux vides à des artistes du milieu. Plusieurs s’y installeront, dont Fortier. À la recherche d’une troisième dimension, il fera un détour par la sculpture. Il récupèrera une multitude d’objets domestiques destinés à la poubelle, qu’il transformera ensuite en sculptures ou qu’il intègrera dans ses compositions picturales. Des meubles entiers seront ainsi transformés, des milliers de bâtonnets de colle fondus et presque autant de bouteilles en polycarbonate de deux litres transfigurées. Encore une fois, les résultats ne laisseront personne indifférent. Mi-sérieux, il qualifiera ses œuvres « d’artdure »… Créateur prolifique, à un moment donné, ses œuvres occuperont trois locaux, l’équivalent de près de 10,000 pieds carrés. Lorsque les emplacements qui lui servaient d’ateliers furent loués, on jettera presque tout. Un peu déçu, il avouera néanmoins qu’il prenait « pas mal de place »… C’est pendant cette même période, plus précisément en 1991 que Louis Fortier entreprendra ce qui allait à la fois « son » œuvre et son boulet. De créateur il deviendra aussi promoteur.

« Les gouvernements qui sont d’avis que l’art est une chose accessoire font de l’art de gouverner un artifice. »

–         MULTATULI (Idées, 1865)

C’était en juillet 1991, Saint-Roch n’en finissait plus de mourir. À l’ombre des taudis de la côtes d’Abraham, à l’intersection des rues St-Vallier Est et Fleurie, trois hommes s’emparent d’un terrain vague appartenant à la ville. Là où les politiciens avaient semé le doute, ils plantent des fleurs, installent une sculpture. Petit geste symbolique réprimandé à ses premières heures par les autorités, l’initiative prend très vite des proportions insoupçonnées.

Encouragés par un animateur de radio, des gens de tous les milieux empoignent pelles, râteaux et brouettes tandis que des entreprises privées venues d’aussi loin que L’Islet-sur-Mer font don des matériaux nécessaires à la réalisation de ce qui allait devenir la belle histoire de l’Îlot Fleurie. « C’est une opération au cœur de la ville, à ciel ouvert », me dit calmement Fortier, à genoux, les deux mains dans la terre. En trois semaines, le quartier Saint-Roch retrouvera une partie de sa dignité. Ne pouvant plus nier la portée du geste des citoyens, à la mi-août, la ville de Québec faisait l’installation d’une glissage et de balançoires. « Il était tout à fait légitime pour les gens du milieu d’aspirer à une meilleure qualité de vie » reconnaîtra plus tard le maire de Québec, Jean-Paul L’Allier.

Ce qui ne devait être qu’un geste éphémère durera jusqu’au 30 mai 2007, date de la dissolution de l’organisme. Il y a eu le symposium de peinture « plywood stock » de 1993, le symposium de sculpture « Émergence » de 1994, le « sky art » d’Otto Piene et le « land art » de Bill Vazan en 1996. Sur le site de l’Îlot Fleurie, les sculptures d’Armand Robitaille, Henry Saxe, Don Darby et Irénée Lemieux montent la garde.

Entre deux allées de pétanque et un immense jardin communautaire, un atelier à ciel ouvert, des artistes, des enfants, des rêveurs… Pendant cinq ans, Fortier s’investie dans la réalisation de cette œuvre collective. Denise, sa femme, l’accompagne et deviendra, pour le meilleur et pour le pire, la marraine de l’Îlot Fleurie. En 1998, l’Îlot Fleurie sera déménagé sous les Bretelle d’accès de l’autoroute Dufferin-Montmorency pour faire place à un complexe d’habitation.

Mil-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze marque un tournant dans la peinture de Fortier. Ses expériences avec des pigments dilués sur acétates superposés, espèces de trous noirs d’où s’échappent des vagues de lumière l’ancre solidement dans la figuration spirituelle et nous rapproche plus que jamais de la nature de l’homme qu’il est. Aujourd’hui, le rouge, le jaune, le blanc et le noir dominent.

Il demeure inutile de tenter de définir l’œuvre de Fortier, de situer ses influences, de faire des parallèles avec d’autres artistes. Sans doute, et il le reconnaîtra, il voue un profond respect à Riopelle et Leduc. Matisse l’aura profondément marqué comme Mozart et Beethoven l’ont fait. Léopold, son voisin d’en face aussi.

L’œuvre de Fortier n’exige pas un déracinement culturel. Au contraire, il nécessite un enracinement populaire. C’est ce qui rend son art universel, accessible et si nécessaire.

-Texte de Francis Foy-

6 réflexions au sujet de « Biographie »

  1. D'innombrables moments inoubliables passés avec ce frère, ce grand ami. Merci Francis pour ce travail de diffusion de l'œuvre de ce grand artiste. Belle recherche, magnifique compilation pour un créateur si prolifique qu'on ne pourra jamais vraiment créer un catalogue de ses œuvres mais seulement en tracer les grandes lignes comme tu as bien fait. N'hésite pas a me contacter, ce sera toujours un plaisir de se remémorer cette époque bénie. On se serait cru à Montmartre a la belle époque.

    1. Vous connaissez tellement mon frère, tout un travail de recherches, bravo à vous et merci , cela m’a tellement fait du bien

  2. Que de beaux souvenirs viennent surgir de ma mémoire aujourd’hui. Cela a aussi eu l’effet de me rappeler des périodes sombres et noires de notre enfance. Louis est mon frère et je suis fière de lui. Je regarde souvent tous les articles de journaux qui ont été écrits sur l’îlot Fleurie. Une belle réalisation. Merci a l’auteur de ce site web. Tout a été écrit avec une réalité surprenante.

  3. Encore aujourd’hui, tu me manque mon ami Louis.

  4. En ce moment, à cette étape de mon parcours artistique, je me rappelle avec gratitude ces artistes qui m’ont tant apporté et influencé et Louis fut certes un des principaux. Tellement de beaux moments à échanger autour d’un thé, l’art et la spiritualité toujours au centre de nos discussions. Il y’a eu bien sûr l’Ilôt Fleurie mais aussi la galerie Rien, Jamais, Nulle Part installée dans le local au rez de chaussée de sa maison dans Saint Roch.

  5. Louis ne me quitte jamais. Je viens juste de discuter avec lui dans mon atelier. Mon grand ami et mentor. Merci la vie de l’avoir mis sur ma route.

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